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LES ENTRETIENS D'ALLICE : « La décarbonation doit être un moyen et non une fin à la transition environnementale de l’industrie, et plus largement de notre société. »
Le 06|11|2024
Publié le 06|11|2024
« La décarbonation doit être un moyen et non une fin à la transition environnementale de l’industrie, et plus largement de notre société. »
Clémence Corvée, Responsable environnement et énergie chez Bonduelle.
ALLICE : Bonduelle est le leader mondial du légume prêt à l’emploi, avec 58 sites et une présence dans 18 pays. À cette échelle, il est aisé d’imaginer l’ampleur des actions de décarbonation et de transition énergétique à mener. Comment le groupe Bonduelle aborde-t-il ce challenge ?
Clémence Corvée : L’enjeu est considérable. Mais je dirais que notre avantage principal réside dans le fait d’être un groupe familial avec une culture proche de la terre, qui nous offre notre matière première. Notre lien aux champs a fait naître très tôt au sein du groupe une forte conscience des enjeux environnementaux et climatiques, notamment sur la question de l’agriculture régénératrice. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux enjeux de décarbonation et de transition énergétique.
Quelles ont été les différentes étapes de cette démarche ?
Nous avons fixé des objectifs ambitieux en termes de décarbonation et de transition énergétique. Nous avons commencé en 2015 avec des audits énergétiques qui ont été réalisés à tous les niveaux des usines et des sites industriels. Aujourd’hui la très grande majorité de nos sites français et européens sont certifiés ISO 50 001. Cela a permis d’accélérer la démarche d’efficacité énergétique et la mise en place de projets.
Le groupe s’est également lancé dans un objectif de certification BCORP, qui voit plus loin que le carbone. C’est une certification large des entreprises à impact positif qui évalue notre engagement RSE, à savoir notre impact sur l’environnement et nos engagements sociaux. Aujourd’hui, 80 % de notre périmètre est certifié avec un objectif à 100% en 2025.
Notre groupe s’inscrit également dans une stratégie SBTI [Science-Based Target Initiative] avec l’objectif de net zéro à 2050. Cet engagement a mis un coup d’accélérateur sur les sujets de la transition énergétique qui seront portés ensuite par chacun des responsables énergies de chaque site.
Avez-vous un exemple marquant à citer en termes d’actions de décarbonation ?
Oui, nous avons mis en place une chaudière biomasse sur notre site historique de Renescure. Le projet est soutenu par l’ADEME et a été inauguré en juin 2024.
Cette chaudière sera utilisée dans le cadre du procédé de production de vapeur pour blanchir les légumes et stériliser nos boîtes de conserves. Cette chaudière représente 6000 tonnes CO2eq évitées. C’est le plus gros projet que nous avons mené jusqu’ici.
Comment se construit votre réflexion sur les arbitrages à faire : technologies, changement de mix énergétique etc. ?
Nous avons commencé par installer plusieurs technologies de manière indépendante. Maintenant nous sommes au stade où nous structurons une stratégie globale et détaillée pour atteindre notre objectif final.
Dans cette phase, les études ALLICE sur les différentes solutions nous sont très utiles. Elles nous permettent de savoir ce qui se fait ailleurs en termes de technologies : solaire thermique, PAC THT, récupération de chaleur, etc. ALLICE nous permet également de bénéficier de retours d’expériences d’autres industriels.
Est-ce qu’une étude en particulier a pu vous aider ?
Oui, par exemple, nous nous sommes servis de l’étude sur la décarbonation de l’industrie agroalimentaire comme d’une sorte de benchmark : comment peut-on gagner en efficacité énergétique ? Quelles sont les limites de certaines technologies ? Lesquelles sont les mieux adaptées à nos procédés ? L’étude ALLICE nous donne un axe, une ouverture sur des échanges plus techniques. C’est un pool d’idées à regarder, pour nous tenir au courant de ce qui va sortir à long terme.
Les études ALLICE nous permettent de faire un choix avec plus de maturité sur l’ensemble des solutions disponibles, et de mieux évaluer leurs impacts, contraintes, coûts d’investissement et opérationnels. On pose nos différentes options et on construit selon des briques que l’on identifie comme prioritaires.
Après une période d’évaluation, nous allons décider quels leviers actionner en priorité. La dernière étape consiste à présenter à nos décideurs nos différentes possibilités.
Justement, comment est-ce que vos décideurs et dirigeants se saisissent de ces enjeux ?
La discussion est très ouverte, en gardant en tête que les questions de carbone nécessitent des connaissances assez pointues en termes d’ordres de grandeur, de possibilités etc. En tant que référent énergie, nous avons donc un rôle central à jouer pour transmettre des compétences en la matière.
L’enjeu est crucial : On a un large éventail de possibilités avec de nombreux paramètres à prendre en compte : l’investissement, les coûts opérationnels, les gisements disponibles.
Pour moi, la communication sur ces sujets est le vecteur clé de réussite : il faut donner de la culture, du vocabulaire, des ordres de grandeur, faire de la pédagogie sur les contraintes de la décarbonation pour les allier aux OPEX et CAPEX.
Pour mener à bien cette stratégie, au-delà des décideurs, il faut aussi mobiliser et convaincre les autres collaborateurs du groupe.
Absolument, et cela fait partie d’une de mes actions et de mes volontés : donner à tous la capacité de comprendre les enjeux de la transition énergétique et environnementale. Je dirais qu’il faut « animer » ces enjeux autour du carbone pour faire en sorte de les rendre visibles et concrets aux différents niveaux de l’organisation.
Aujourd’hui il y a une certaine difficulté à imaginer concrètement combien de tonnes de CO2 représente un site. Or, plus on en parlera, plus on imaginera, plus chacun partagera sa vision de ce carbone, et plus on arrivera à décarboner, et à faire autrement.
Même s’il y a une certaine sensibilité à l’écologie dans notre groupe, tout le monde n’est pas au même niveau de connaissance sur les mêmes sujets. Pour cela, j’essaie de créer un réseau, d’apporter mon expertise et de structurer une feuille de route.
Cela doit nécessiter de se coordonner avec les différentes fonctions au sein du groupe ?
Oui, c’est un véritable travail d’équipe ! Je suis accompagnée dans cette mission par une experte qui compte notre carbone et définit les objectifs selon les standards. Ensuite, je me coordonne avec les experts des autres domaines pour que l’on crée des actions communes. Par exemple, nous sommes en train de concevoir un simulateur d’empreinte carbone.
Cependant, de mon point de vue certes le carbone est important à prendre en compte, mais la décarbonation doit être un moyen et non une fin à la transition environnementale.
Vous voulez dire que l’objectif de décarbonation ne doit pas être le seul objectif environnemental de l’industrie ?
C’est cela. Évidemment les entreprises doivent réduire leurs consommations d’énergie et leurs émissions de CO2, mais il ne faut pas ignorer les autres sujets qui émergent en parallèle et qui sont tout aussi importants pour nos écosystèmes, notamment ceux de la biodiversité et de l’eau.
Certes il faut décarboner, mais il faut aussi encourager de nouvelles façons de faire, repenser l’usage de nos ressources, de nos moyens de production… Sur ce sujet, les industriels ont un rôle majeur à jouer pour la transition écologique : ils sont à la fois le moteur de leurs propres transformations et le vecteur de celles de notre société, en promouvant de nouvelles façons de consommer.
Comment les industriels peuvent-ils porter concrètement ces changements dans nos modes de consommation et donc un changement sociétal conséquent ?
Et bien, si je prends le cas de Bonduelle, par exemple, les émissions évitées se feront évidemment dans nos procédés au sein de nos sites de production, mais j’aime voir plus loin.
Je crois intimement que nous sommes un acteur de la transition alimentaire : par exemple, nous développons largement les filières des légumineuses pour encourager à des régimes qui tendent vers le végétarien et le flexitarien.
Le levier de la transition alimentaire est extrêmement grand et englobe autant des enjeux techniques, mais également culturels, qui passent par de nouveaux modes de production mais également de consommation.
Je suis persuadée qu’on pourra faire une partie du chemin avec des solutions techniques. Pour le reste, il va falloir que l’on challenge nos façons de produire et de consommer. Les industriels ont un rôle à jouer pour rendre la transition désirable. C’est important que l’on porte ces messages, et qu’on les rende visibles.
D’ailleurs, nous décarbonons sur nos sites, mais nous devons aussi réduire nos émissions en amont et en aval de notre chaîne de valeur (notre SCOPE 3) qui représente au final plus de 80% de nos émissions ! C’est d’ailleurs une des demandes de nos clients.
Vous voulez dire que vos clients vous challengent sur ce point ?
Oui tout à fait. Par exemple, dans le cadre de notre engagement SBTI nous avions fixé un objectif de -38 % à 2035 par rapport à 2020. Nous sommes en cours de réévaluation de notre objectif versus une trajectoire plus ambitieuse demandée par nos clients et parties prenantes (scenario 1,5°C). Nous allons augmenter nos efforts. Nous avons également régulièrement des questionnaires sur nos impacts environnementaux de la part de nos clients – et nous questionnons aussi nos fournisseurs. C’est un cercle vertueux, tout le monde s’encourage à faire mieux.
Un mot sur votre parcours personnel pour terminer. Vous semblez avoir de vraies convictions qui vous animent, notamment dans votre cadre professionnel. Est-ce que cela a toujours été le cas ?
Non, je n’ai pas toujours occupé un poste comme celui-ci. À l’origine, j’ai une formation d’ingénieure en génie chimique. J’ai commencé ma carrière sur un site chimique en tant qu’ingénieure des procédés. Par la force des choses, j’ai eu des missions sur l’optimisation des procédés de production avec une partie énergie dans le cadre de l’ISO 50 001 en 2015. À ce moment-là, je me suis rendu compte que je pouvais agir concrètement à mon échelle pour réduire les consommations énergétiques. En parallèle, le sujet émergeait de plus en plus dans les entreprises, et j’ai compris que je pouvais en faire un métier à part entière.
Comment votre engagement se traduit-il au quotidien ?
Je suis en charge de structurer la démarche environnementale et énergétique au niveau du groupe. Je porte tout ce que l’on vient d’évoquer : créer des outils de suivi, standardiser, mettre en lumière des besoins, créer des réseaux de bonnes pratiques, porter des projets techniques. On ne s’ennuie pas ! (rires).
Pour aligner ma vie professionnelle avec mes convictions personnelles, j’ai intégré Bonduelle et rejoins un groupe qui œuvre pour la transition alimentaire, qui est un puissant levier ! Ces perspectives de transformation majeures donnent beaucoup de sens à mon activité professionnelle.