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Interview de lauréat pitch Congrès ALLICE - Laurent Lantoine, GRDF
Le 11|02|2022
Publié le 11|02|2022
Lauréat du pitch innovation dans la catégorie Utilités et gestion de l'énergie lors du Congrès ALLICE 2021
Une chaudière zéro carbone pour la production de vapeur et d’eau chaude industriellePar Laurent Lantoine, Responsable produits industrie et tertiaire, GRDF |
La chaudière industrielle du futur : pour une industrie moins émettrice de GES et tournée vers une économie circulaire du CO2 - Un objectif envisageable !
ALLICE : Laurent Lantoine, vous êtes responsable produits industrie et tertiaire chez GRDF et vous avez présenté au congrès ALLICE une chaudière « zéro-carbone » qui a remporté la victoire de la catégorie des pitchs « Utilités et gestion de l’énergie ». Sur quelle technique repose-t-elle ?
Laurent Lantoine : La technologie n’est pas neuve au sens « R&D » du terme, elle a déjà été testée il y a quelques années sur une chaudière. Elle est basée sur une technique d’oxycombustion, contrairement à la technique classique d’aéro-combustion couramment utilisée pour produire de la vapeur industrielle.
L’aéro-combustion consiste à brûler un combustible en présence d’air capté dans la chaufferie pour produire de la vapeur. Avec l’oxycombustion, on remplace l’air comburant par de l’oxygène. Cela a pour effet de concentrer le CO2 dans les fumées : en effet, l’air est composé à 78% d’azote et 21% d’oxygène. L’azote ne participant pas à la combustion, il absorbe une partie de l’énergie puis est rejeté dans les fumées de combustion. Cette énergie est perdue et le CO2 dans ce cas ne représente que 10% environ du volume des fumées (pour une combustion avec du gaz naturel). Quand on veut le capter, c’est très difficile. L’idée centrale de l’oxycombustion, c’est de concentrer le CO2 dans les fumées afin de faciliter son captage.
L’aéro-combustion consiste à brûler un combustible en présence d’air capté dans la chaufferie pour produire de la vapeur. Avec l’oxycombustion, on remplace l’air comburant par de l’oxygène. Cela a pour effet de concentrer le CO2 dans les fumées : en effet, l’air est composé à 78% d’azote et 21% d’oxygène. L’azote ne participant pas à la combustion, il absorbe une partie de l’énergie puis est rejeté dans les fumées de combustion. Cette énergie est perdue et le CO2 dans ce cas ne représente que 10% environ du volume des fumées (pour une combustion avec du gaz naturel). Quand on veut le capter, c’est très difficile. L’idée centrale de l’oxycombustion, c’est de concentrer le CO2 dans les fumées afin de faciliter son captage.
ALLICE : A quels marchés cette technologie s’adresse-t-elle ?
Laurent Lantoine : La production de vapeur représente environ 45% de tout le gaz distribué dans l’industrie par GRDF. De nombreux process sont concernés : agroalimentaire, papeterie, plasturgie, pétrochimie, textile, blanchisserie... Tous doivent être au rendez-vous de la décarbonation de leurs procédés et cette technologie apportera une réponse efficace de production de vapeur avec une émission de CO2 atmosphérique très faible. Le potentiel est donc très important.
Son autre atout, c’est que les process de production de vapeur sont assez standardisés. Il y a 2 grands principes : les chaudières à tubes d’eau et celles à tubes de fumées, mais à l’intérieur de ces deux principes, il n’y a pas de gros écarts de fonctionnement, quelle que soit la puissance. Une fois la technologie validée, son déploiement sera facile pour une très grande variété de clients et de besoins, et des économies d’échelle seront possibles.
Son autre atout, c’est que les process de production de vapeur sont assez standardisés. Il y a 2 grands principes : les chaudières à tubes d’eau et celles à tubes de fumées, mais à l’intérieur de ces deux principes, il n’y a pas de gros écarts de fonctionnement, quelle que soit la puissance. Une fois la technologie validée, son déploiement sera facile pour une très grande variété de clients et de besoins, et des économies d’échelle seront possibles.
ALLICE : Vous évoquiez le fait que la technologie a déjà été testée. Pourquoi ces premiers tests n’ont-ils pas aboutis sur un produit commercialisé et en quoi pensez-vous désormais que la technologie va s’installer sur le marché industriel ?
Laurent Lantoine : Il y a 10 ans, des entreprises comme Total, Air Liquide… étudiaient cette technologie, mais elles étaient peut-être trop en avance. A l’époque, on ne parlait pas de décarbonation, de stockage de CO2, le coût de la tonne de CO2 pour les entreprises soumises à quotas était très faible, bref l’alignement des planètes n’était pas là.
La prise de conscience s’est largement accélérée depuis et tous les industriels ou presque se préoccupent maintenant de leur empreinte carbone. Les plus gros sont soumis aux quotas d’émissions ; s’ils les dépassent, ils doivent s’en procurer sur le marché et celui-ci a explosé. Il y a 10 ans, il était à moins de 10€ la tonne, maintenant, il est à plus de 85€ la tonne. Même les plus petits émetteurs, qui ne sont pas soumis aux quotas, sont sous pression de leurs donneurs d’ordres, de leurs actionnaires ou de leurs consommateurs. Les industriels doivent tous impérativement trouver des solutions pour réduire leurs émissions.
La prise de conscience s’est largement accélérée depuis et tous les industriels ou presque se préoccupent maintenant de leur empreinte carbone. Les plus gros sont soumis aux quotas d’émissions ; s’ils les dépassent, ils doivent s’en procurer sur le marché et celui-ci a explosé. Il y a 10 ans, il était à moins de 10€ la tonne, maintenant, il est à plus de 85€ la tonne. Même les plus petits émetteurs, qui ne sont pas soumis aux quotas, sont sous pression de leurs donneurs d’ordres, de leurs actionnaires ou de leurs consommateurs. Les industriels doivent tous impérativement trouver des solutions pour réduire leurs émissions.
ALLICE : Où en sont les fabricants par rapport à cette technologie ?
Laurent Lantoine : Il s’agit d’un développement incrémental, il n’y a pas de révolution dans la technologie, on s’appuie sur des systèmes qui existent déjà mais qui n’ont pas été exploités en ce sens car cela n’était pas assez intéressant pour des industriels qui n’avaient pas encore de fortes contraintes de maîtrise de leurs émissions de GES.
ALLICE : Le chemin à parcourir est donc facilité de leur côté pour pouvoir mettre sur le marché une chaudière zéro-carbone ?
Laurent Lantoine : Effectivement et c’est un autre atout pour un développement rapide. Les chaudières zéro-carbone s’appuient sur des briques technologiques très matures : on substitue juste l’air par de l’oxygène. Il faut adapter une boucle de recirculation pour recycler une partie des produits de combustion vers le foyer et pour concentrer ainsi le CO2 dans la chaudière. Ces boucles existent déjà sur des chaudières qu’on appelle ultra bas NOx : elles fonctionnent classiquement en aéro-combustion, mais les fabricants mettent en place une boucle de recirculation afin de limiter au minimum les émissions d’oxydes d’azote. On garde le même principe, mais avec pour objectif de concentrer le CO2 dans les fumées dans le cas d’une combustion avec de l’oxygène comme comburant.
ALLICE : Une fois que la chaudière zéro carbone sera disponible sur le marché, pour un industriel qui souhaitera l’installer, quels seront les impacts sur son process ? Les coûts à prévoir ? Faut-il changer toute l’installation ?
Laurent Lantoine : Pour un industriel souhaitant faire appel à cette technique, il y aura deux voies :- Le retrofittage ou revamping : notamment pour de très grosses installations ou bien pour des installations récentes, qu’il serait peu pertinent de remplacer. On conservera alors l’équipement existant avec une modification pour le mettre à jour, lui permettre de fonctionner avec comme comburant l’oxygène à la place de l’air et installer la boucle de recirculation. Cela optimise clairement le Capex.
- Le remplacement par un équipement neuf, qui sera la meilleure option si l’équipement utilisé est vieillissant. Les fabricants vont développer des gammes nouvelles de produits qui remplaceront progressivement les produits plus traditionnels fonctionnant à l’air.
ALLICE : Quelles sont les prochaines étapes de développement ?
Laurent Lantoine : Des industriels, utilisateurs finaux et fabricants de chaudières et d’équipements, se réunissent en consortium autour de ce projet, afin de mettre en place un démonstrateur dont la taille sera entre 3 et 5 MW. Le choix du site industriel qui l’accueillera et sera exploitant de la solution, est en cours. L’objectif est que ce démonstrateur soit fonctionnel entre fin 2022 et début 2023. Il doit nous permettre de prouver que la technologie fonctionne, que la vapeur répond aux spécificités de qualité du site, à un coût accessible, et que le CO2 produit peut effectivement être réutilisé, avec le double intérêt : ne plus émettre de CO2 dans l’atmosphère mais aussi le valoriser pour optimiser la rentabilité d’ensemble.
ALLICE : Quelles sont les valorisations possibles ?
Laurent Lantoine : Cela dépend de l’activité de l’industriel. Certains vont avoir un réel intérêt à le réutiliser directement dans leur procédé. Par exemple, les industries de l’agroalimentaire qui doivent se procurer du CO2. Cette valorisation in situ est à encourager au maximum. Mais bien sûr, il faut que toutes les industries, y compris celles qui n’ont pas d’usage sur place, puissent utiliser cette technologie pour valoriser le CO2 différemment. Par un traitement assez simple, qui consiste à refroidir les fumées, condenser le CO2 et ainsi le liquéfier, on peut alors le transporter pour une exploitation sur d’autres sites industriels.
Plusieurs développements sont actuellement en cours pour valoriser ce CO2 : matériaux de construction, e-fuels et autres produits plastiques… Nous lancerons un appel à projets courant 2022 pour identifier encore d’autres pistes de valorisation.
Les très gros industriels qui paient une taxe carbone, en forte hausse actuellement, pourront valoriser dans leur bilan carbone le captage et la séquestration du CO2 par la suite.
Il est a noté qu’avec une alimentation croissante des process industriels en biométhane ou méthane de synthèse, ces procédés deviendront de véritables puits de carbone !
Plusieurs développements sont actuellement en cours pour valoriser ce CO2 : matériaux de construction, e-fuels et autres produits plastiques… Nous lancerons un appel à projets courant 2022 pour identifier encore d’autres pistes de valorisation.
Les très gros industriels qui paient une taxe carbone, en forte hausse actuellement, pourront valoriser dans leur bilan carbone le captage et la séquestration du CO2 par la suite.
Il est a noté qu’avec une alimentation croissante des process industriels en biométhane ou méthane de synthèse, ces procédés deviendront de véritables puits de carbone !
ALLICE : Quel est le modèle économique pour l’utilisation du CO2 produit ?
Laurent Lantoine : Cette question fait partie des réflexions en cours. Aujourd’hui, le marché du CO2 représente moins d’1 million de tonnes / an, alors qu’il y a 90 millions de tonnes produites chaque année en France par le secteur industriel. La chaudière zéro carbone pourrait permettre de capter 20% de ces émissions, soit 18 millions de tonnes / an. Aujourd’hui, il y a un déphasage entre le potentiel gisement et le développement des filières de valorisation, mais les choses évoluent très vite dans ce domaine.Du côté de GRDF, nous instruisons le développement de la méthanation, (à ne pas confondre avec la méthanisation qui est la fabrication de biométhane à partir de déchets organiques). La méthanation, qui est la conversion de CO2 et H2 en CH4, c’est-à-dire en méthane, principal composant du gaz naturel transporté dans nos réseaux. C’est théoriquement très intéressant. D’un point de vue pratique il faut s’assurer de la disponibilité de l’hydrogène. A court terme, le potentiel de production d’hydrogène risque d’être inférieur à la demande. Surtout si on veut de l’hydrogène vert : actuellement, les filières les plus implantées et rentables de production d’hydrogène sont très émettrices de CO2. La France s’est récemment engagée dans un très grand plan de développement de la production d’hydrogène vert qui devrait permettre d’avoir un accès plus important à cette ressource plus vertueuse.
Un point très intéressant dans cette voie est la production simultanée d’H2 et d’O2. En effet, pour chaque tonne d’H2 produit par électrolyse, 8 tonnes d’O2 sont également générées ! Cet oxygène « gratuit », coproduit de l’électrolyse, pourrait demain alimenter les solutions d’oxycombustion comme la CH0C (NDLR : Chaudière 0 Carbone). Par ailleurs, l’équilibre économique est dépendant de différents paramètres :
- Le prix de l’énergie, et notamment du gaz
- Le prix de l’oxygène
- Le prix du carbone : la taxe carbone et le marché du CO2 plus globalement
- Les coûts de captage, stockage, transport et séquestration du CO2
- Les débouchés pour le CO2 et les niveaux de valorisation
Enfin, la rentabilité économique immédiate n’est pas le seul critère pour motiver l’adoption de cette technologie. En effet, en attendant que les énergies alternatives se développent, pour réduire leurs émissions dans les 30 prochaines années et atteindre les objectifs de décarbonation fixés par la SNBC, les industriels vont devoir se tourner vers des solutions pour capter rapidement le CO2 qu’ils émettent afin de le réutiliser ou le séquestrer pour les plus gros d’entre eux. Ceci est vrai en France et encore plus dans de nombreux pays européens où l’électricité est beaucoup plus carbonée que la nôtre et où l’électrification des procédés est loin d’être une solution pertinente pour limiter les émissions de CO2.
Dans une vision prospective, on doit s’orienter vers des installations « puits de carbone ». La nature très concentrée des émissions dans le secteur de l’industrie permet de les capter plus facilement, c’est une réelle opportunité. Il sera ainsi possible de capter le CO2, de l’utiliser pour produire par exemple du méthane de synthèse lui-même venant ensuite alimenter des process auparavant producteurs de CO2 . Combiné avec l’essor de la production de méthane biogénique (biométhane), ils seront alors non seulement décarbonés mais ils se transformeront même en « aspirateurs à CO2 ».
NDRL : vous souhaitez recevoir les appels à projets qui seront lancés par GRDF courant 2022 pour identifier de nouvelles pistes de valorisation du CO2 ? N’hésitez pas à nous contacter : contact@alliance-allice.com.